Tout a commencé lorsque les caméscopes ont remplacé les caméras. Faire de la télé devenait alors à la portée de tous. Jean-Lou, Yasmina, Victor, Clara, Adonis et les autres ne voulaient pas seulement créer leur propre chaîne de télé, ils voulaient surtout faire la révolution. Ainsi naquit Télégaucho, aussi anarchiste et provocatrice que les grandes chaînes étaient jugées conformistes et réactionnaires. Cinq années de grands foutoirs, de manifs musclées en émetteur pirate, de soirées de beuveries en amours contrariés, de sitcom de quartier en baston avec les flics, de moqueries en interminables discussions politiques, de scissions dramatiques en misérables tromperies.
Et ce fut ma parenthèse enchantée.
« Le Nom des Gens » avait laissé l’agréable souvenir d’une comédie grinçante et joyeusement impertinente. Le nouveau film de Michel Leclerc pose un regard à la fois tendre et caustique sur les responsables( ?) d’une télévision alternative désireuse de changer le monde. Bien sûr, ils ne se ressemblent pas tous mais tous rêvent de faire la nique aux chaînes commerciales évidemment à la solde d’un pouvoir petit bourgeois réactionnaire. Pour cela, il leur faudra faire preuve d’une inventivité parodique pas toujours très subtile. Tous les coups sont permis puisqu’ils sont au service du peuple, opprimé et aliéné. Au- delà, bien des choses les séparent. Du joyeux anarchiste un peu filou en passant par le doctrinaire pétri d’une dialectique qui l’entraîne au dogmatisme. De la jeune femme si peu sûre d’elle-même qu’elle semble prédestinée à tout rater à la militante à qui manquent humour et autodérision. En passant par le jeune cinéaste qui rêve au succès sans renier son engagement. Tous se débrouillent comme ils peuvent pour trouver un chemin dans ce joyeux foutoir qu’est Télé Gaucho. Le film est construit sur une succession de saynètes et de gags, le plus souvent drôles, parfois longuets et qui ratent leur cible. Le film est bien long et la fin tarde à venir. Dommage aussi que la caricature laisse parfois la place au cliché. Stéréotypé, le personnage de la journaliste qui a vendu son talent à la télé la plus trash et qui n’en finit pas d’être mal dans sa peau. Mais outre qu’on s’amuse, sans prétention et sans méchanceté, on peut se prendre à rêver qu’à une certaine époque, pas si lointaine (années 90), il paraissait encore possible de concevoir une autre société. Avec maladresse et naïveté, certes, et le réalisateur ne se prive pas de nous le faire comprendre, mais avec une sincérité libertaire qui réjouit…et laisse des regrets.